Les systèmes de santé en Afrique et l’inégalité face aux soins
L’organisation moderne des systèmes de santé en Afrique remonte pour l’essentiel aux années 1920-1930 avec, dans les colonies françaises, une empreinte très marquée du service de santé des armées. Au cœur du dispositif, l’hôpital jouait un rôle essentiel, puis autour s’organisait un réseau d’institutions publiques et privées de soins. Qu’en est-il aujourd’hui ?
2Durant les premières décennies des indépendances, le modèle sanitaire colonial a été globalement reconduit. L’offre de soins en faveur des populations urbaines a été développée et les grands centres hospitaliers ont joué un rôle important tout en mobilisant l’essentiel des ressources. Au Sénégal, par exemple, pendant les cinq premiers plans de développement, de 1961 à 1981, la partie des investissements consacrée aux hôpitaux a été de 51 à 62 % du budget de la santé publique (De la Moussaye, Jacquemot, 1992). Cette distorsion en faveur de l’hôpital se retrouve ailleurs et sur une longue période. Ainsi, en 2011, les frais de fonctionnement du Centre hospitalo-universitaire de Brazzaville étaient équivalents à l’ensemble des dépenses du Congo en soins de santé primaires.
3Dans le même temps, la lutte contre les grandes endémies a été poursuivie avec le soutien financier des bailleurs de fonds. Il a toujours été plus facile de mobiliser des fonds extérieurs, publics ou privés, pour des programmes verticaux de type lutte contre le sida ou contre le paludisme, que pour venir en aide aux structures hospitalières publiques.
4Le schéma organisationnel. En Afrique, le système de santé est pratiquement partout organisé sur le même modèle et de manière pyramidale. Il existe des structures de premier niveau pour les pathologies courantes, les soins de proximité et la santé maternelle : dispensaires de premiers soins, cases de santé ; des structures de type hôpital de district ou régional de cinquante à deux cents lits qui normalement offrent une palette de soins de consultations externes avec de l’hospitalisation (médecine, pédiatrie, chirurgie, maternité et parfois service d’urgence) ; des structures de référence au plan national offrant les spécialités ; et des centres hospitalo-universitaires qui concentrent la quasi-totalité des spécialistes, chargés d’enseignement dans les facultés de médecine.
5Les trois organisations du système des Nations unies spécialisées dans les questions de santé – l’OMS, l’Unicef et le FNUAP – ont fortement imprégné les systèmes et les pratiques de santé. Le concept de « district » s’est ainsi imposé. Le district sanitaire, sous-ensemble du système national, est constitué des équipes des hôpitaux et des centres de santé d’une zone, couvrant 100 000 à 200 000 habitants. C’est à ce niveau que sont le plus pertinemment installés les outils d’information sanitaire qui collectent les données épidémiologiques.
6La filière sanitaire. Traditionnellement tournés vers les pathologies courantes et la santé maternelle et infantile, les centres de santé de premier niveau prennent également en charge les cas que l’éloignement des hôpitaux interdit d’ignorer. Une palette élargie de soins de proximité y est offerte et la petite chirurgie est parfois pratiquée. Le profil type d’un district de santé (établi sur la base de chiffres moyens) montre que la couverture d’un hôpital correspond à un lit pour mille habitants du district de santé, et qu’il existe un centre de santé/dispensaire pour six mille habitants en milieu rural et pour dix mille habitants en milieu urbain. Le centre de santé/dispensaire le plus proche ne doit pas être à plus de 5 km (ou 10 km dans les régions particulièrement difficiles). En ce qui concerne le personnel, il existe, pour un hôpital de deux cents lits, au minimum trois médecins, un infirmier pour trois lits, un administrateur-gestionnaire, deux techniciens d’hôpital spécialisés ; pour un dispensaire, un agent de soins infirmiers en chef de service, une sage-femme, une aide-infirmière ou un travailleur social, personnel auxiliaire ; et pour une équipe cadre du district : un médecin de santé publique comme chef, un membre du personnel infirmier supérieur, un cadre dirigeant d’hôpital, un responsable de soins maternels et infantiles, un comptable, etc. (Source, Görgen et al., 2004).
7La distribution des soins. Le succès de la prise en charge de patients repose sur la bonne articulation entre les différents acteurs intervenants aux différents niveaux de recours. Cette notion est d’autant plus importante lorsqu’un premier niveau de recours a été largement développé pour qu’il assure la réponse aux situations les plus fréquentes. Il existe alors une forte tendance à ce que le niveau primaire prenne en charge des situations qui gagneraient à bénéficier d’un recours au niveau supérieur (Kerouedan, 2011). Cela est d’autant plus vérifié lorsque le niveau de base est organisé indépendamment du système de recours.
8La santé peut être distribuée par des acteurs publics, privés ou confessionnels, pourvu qu’ils soient compétents et efficients, mais le contrôle de la qualité et des résultats ne peut rester que public. Les acteurs privés sont, à côté des tradi-praticiens, de plus en plus nombreux. Officiellement réglementé, l’exercice privé de la santé, médecine et soins infirmiers, est dans de nombreux cas sans réel contrôle. De plus, par le jeu des intérêts croisés, un nombre important d’acteurs publics est aussi prestataire privé. Les structures confessionnelles ou caritatives, lorsqu’elles existent, sont quant à elle vitales pour le maintien de la carte sanitaire. C’est le cas en RDC où les bureaux diocésains des œuvres médicales assurent l’essentiel de l’offre de soins dans nombre des onze provinces.
9La place du secteur privé. Quoique le secteur privé de la santé n’ait pas partout la même dimension, il intervient dans tous les maillons de la chaîne de la santé. Environ la moitié du total des dépenses de santé bénéficie à des prestataires privés. La place de ces derniers varie selon les pays en fonction de facteurs politiques, historiques et économiques. Dans certains pays, notamment l’Ouganda et le Ghana, elle dépasse les 60 %, tandis que dans d’autres, comme la Namibie, elle est inférieure à 10 % (SFI, 2008). La partie structurée du secteur privé est composée de différents types d’entités comprenant des institutions confessionnelles, des ONG, des pharmacies, des fabricants, des importateurs. Le secteur privé est commercial pour les deux tiers et caritatif pour un tiers de l’activité privée de santé. Il existe en plus un secteur informel de la santé, incluant les guérisseurs traditionnels, les tradi-praticiens et les vendeurs ambulants de médicaments. Les populations pauvres et les populations rurales sont celles qui font le plus appel aux prestataires privés informels, en particulier les guérisseurs et les revendeurs de médicaments non agréés, tandis que les citadins des classes moyennes et supérieures bénéficient plus souvent de services privés formels.
10L’inégalité face aux soins. Les dépenses publiques de santé profitent davantage aux riches qu’aux pauvres. Ainsi, en Mauritanie, 72 % des subventions versées aux hôpitaux bénéficient aux 40 % d’habitants les plus riches. Au Ghana, un tiers des dépenses publiques de santé profite au quintile le plus riche, tandis que 12 % seulement vont au quintile le plus pauvre. Les chiffres sont voisins pour la Tanzanie. Le même schéma se retrouve pour la répartition des dépenses publiques entre villes et campagne. Cette disproportion s’explique par le coût élevé que représente le fonctionnement des hôpitaux spécialisés et des établissements de formation, généralement implantés dans les centres urbains où les plus hauts revenus sont concentrés.
11La planification sanitaire. La formulation d’une politique de santé adaptée au contexte de pénurie des ressources publiques suppose l’identification des priorités, la détermination des objectifs et le choix des instruments pour servir la politique définie. Cette démarche de planification soulève à chaque étape trois grandes questions étroitement liées : quelle est la part respective des ressources disponibles qu’il faut allouer aux actions de prévention (éducation, hygiène, vaccination) et aux actions médicales curatives ? Quelle est l’efficacité comparée des systèmes centralisés et des systèmes décentralisés ? Qu’en résulte-t-il pour l’organisation de la pyramide sanitaire ? Comment faire supporter le financement du système de santé : indirectement par l’impôt ou l’assurance maladie ou directement en contrepartie de la prestation et, dans ce cas, dans quelle proportion ? La réponse apportée à l’une de ces trois questions influence largement celles apportées aux deux autres. Ainsi, l’option en faveur de l’hôpital national induira une priorité en faveur de la médicalisation et un financement de type budgétaire. En revanche, l’option décentralisée accordera un privilège à la prévention tout en sollicitant une participation directe des bénéficiaires.